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"La viande dans tous ses états". Le reportage d'Envoyé spécialdiffusé jeudi soir sur France 2, qui a déclenché les propos contestés de Marine Le Pen, n'était pas exclusivement consacré à la viande halal. Tout part d'un constat pour le moins alarmant : en 2008, près de 41 % des abattoirs français n'étaient pas conformes aux normes sanitaires. C'est du moins ce qu'affirmait la Cour des comptes dans un rapport non public évoqué par la journaliste. Pire, le documentaire affirme que l'abattage rituel augmenterait le risque de contamination par la bactérie E. coli. Les règles d'hygiène sont-elles donc encore moins respectées dans le cadre de la dérogation dont bénéficie l'abattage halal ? Michel Courat, vétérinaire de formation - il a notamment travaillé en Angleterre pendant l'épisode de la "vache folle" -, membre d'Eurogroup for Animals à Bruxelles, nous révèle l'envers du décor.
Le Point.fr : L'abattage rituel respecte-t-il les règles sanitaires conventionnelles ?
Michel Courat : Attention aux termes. Lorsqu'on parle d'"abattage rituel", cela signifie "selon un rite religieux". Or cet abattage rituel peut être effectué avec ou sans étourdissement. Certaines écoles musulmanes acceptent en effet que la bête soit étourdie. Pour autant, elle n'en reçoit pas moins l'appellation "halal". Les vrais risques sanitaires apparaissent en cas d'absence d'étourdissement, car une partie essentielle du règlement est alors laissée de côté.
Laquelle ?
Il s'agit du chapitre 4 paragraphe 7A de l'annexe 3 règlement 853/2004, qui dispose : "La trachée, l'oesophage doivent rester intacts lors de la saignée, sauf s'il s'agit d'un abattage selon un rite religieux". En effet, lorsque vous sectionnez ces parties, vous avez, notamment chez les moutons ou les ovins, un reflux du contenu des estomacs qui souille la coupe de la viande. Or c'est précisément ce sectionnement qui a lieu dans le cadre des abattages rituels sans étourdissement.
Mais n'y a-t-il pas alors un risque plus important de contamination de la viande ?
En théorie, on demande aux abatteurs de procéder au "parage", c'est-à-dire de retirer, à l'aide d'un couteau, toute la partie de la coupe qui aurait pu être souillée. Mais, dans la pratique, cela représente une perte de profit considérable. Cette étape a donc tendance à passer à la trappe. Elle est souvent remplacée par un jet d'eau, ce qui est encore pire : au lieu de retirer les potentielles bactéries, vous étalez le risque de contamination à l'ensemble de la carcasse et créez un brouillard, un spray en quelque sorte, qui est, pour le coup, très chargé en bactéries.
Les personnes qui consomment halal ont donc beaucoup plus de chance d'être contaminées ?
Absolument. D'autant que la partie antérieure chez les bovins est en partie utilisée pour la viande hachée. Néanmoins, si la viande est bien cuite, on ne risque pas grand-chose. Et, généralement, les musulmans ne mangent pas cru. Mais en France, nous sommes nombreux à manger des steaks saignants...
Quelles sont les mesures sanitaires lors d'un abattage normal ?
Comme l'animal est étourdi, on peut procéder à un abattage en deux temps, et utiliser deux couteaux. Le premier pour la peau, le deuxième pour sectionner les tissus et les vaisseaux sanguins. Le risque de contamination est alors nettement plus faible. Je ne suis pas juriste, mais quand même, c'est un point de droit extrêmement paradoxal qui mérite que l'on se pose quelques questions : comment, par dérogation, peut-on procéder à un mode d'abattage qui contourne la législation en matière d'hygiène et augmente ainsi les risques ? Comment peut-on en toute légalité exposer tant de gens ?
D'autant que de la viande des bêtes tuées rituellement n'est pas forcément labellisée halal...
Absolument. Rien sur l'étiquetage ne permet d'indiquer si la viande est halal par étourdissement de la bête ou non. Or, tout compte fait, pourquoi les musulmans auraient-ils le droit de savoir si leur viande est bien halal et les non-musulmans ne pourraient-ils pas être informés du fait que la viande qu'ils achètent a dérogé à la réglementation hygiénique ? Ils ont tout autant le droit de savoir. D'autant que la filière viande a elle-même reconnu que 75 % des moutons, par exemple, étaient abattus en France sans étourdissement...
On a l'impression que les abattoirs font un peu ce qu'ils veulent en France. Ne sont-ils pas soumis à des contrôles réguliers ?
C'est à l'opérateur, c'est-à-dire au gestionnaire de l'abattoir, d'en décider. Ils n'ont, bien sûr, aucun intérêt à ce qu'un scandale sanitaire éclate. Mais les mesures pour les éviter sont encore bien trop aléatoires. Nous avons, par exemple, en France de moins en moins de vétérinaires dans les abattoirs. Les contrôles se cantonnent souvent à l'inspection des carcasses. Or les maladies pourraient certainement être détectées en amont, sur l'animal vivant. En Italie ou en Espagne, par exemple, vous avez beaucoup plus de contrôles vétérinaires en abattoir. Certes, l'auscultation de l'animal ne garantit pas une viande sans contamination. Mais disons que cela peut en diminuer les risques. Or nous assistons aujourd'hui à une course à la rentabilité qui empêche de travailler normalement. Je cite souvent cet exemple, car il est criant : j'ai réalisé, un jour, un audit dans un abattoir. J'arrive sur place un lundi matin, demande à voir un ensemble de documents, dont les températures des frigos, soumises à quatre contrôles quotidiens. Eh bien, figurez-vous que la fiche qu'on m'a apportée comprenait déjà les relevés pour toute la semaine... Où est donc passé le principe de précaution ?