| 30.01.12 | 11h58 • Mis à jour le 30.01.12 | 12h25
L'affaire avait éclaté dans le sillage du scandale du Sofitel de New York, impliquant DSK. Deux ex-employées municipales de Draveil (Essonne) accusaient le maire UMP et secrétaire d'Etat à la fonction publique, Georges Tron, de harcèlement sexuel sous couvert de réflexologie plantaire. Le 22 juin 2011, M. Tron, 54 ans, était mis en examen pour viols et agressions sexuelles ainsi que son adjointe aux affaires culturelles, Brigitte Gruel – ils ont été placés sous contrôle judiciaire. Dans la foulée, il démissionnait du gouvernement. L'homme, dont la France découvrait la fascination pour les pieds, a toujours nié être un délinquant sexuel. Depuis le début de l'affaire, il s'estime victime d'un "complot" ourdi par ses opposants politiques locaux d'extrêmedroite.
Neuf mois après, l'enquête judiciaire semble étayer en partie cette hypothèse. Les plaignantes, Virginie Faux et Eva Loubrieu, ont bien reçu séparément des conseils de Jacques Olivier, ancien conseiller en communication du Front national (FN) et frère jumeau de Philippe Olivier, 51 ans, marié à Marie-Caroline Le Pen – lui aussi ancien permanent du FN. Tous deux vivent à Draveil où ils mènent un combat local contre un projet immobilier soutenu par M.Tron.
Trois mois avant de déposer plainte, en février 2011, Eva Loubrieu était invitée à une soirée organisée par Jacques Olivier. "Elle nous a dit qu'elle était devenue une esclave sexuelle [de M. Tron], a déclaré M. Olivier sur procès-verbal, le 8 juin 2001,(…) qu'elle avait la volonté de déposer plainte (…) tout en disant qu'elle était seule. J'ai dû lui proposer mon soutien si elle en avait besoin." Virginie Faux, elle, s'est épanchée le 9 mai 2011 lors d'un barbecue organisé chez Jacques Olivier parFabienne Sorolla, conseillère municipale Modem de Draveil et farouche opposante de M. Tron. Mme Faux a alors décrit "des attouchements allant jusqu'à la pénétration vaginale avec le doigt", selon M. Olivier. "Elle était déterminée. Je lui ai proposé mon soutien moral et psychologique", s'est-il souvenu, suggérant ensuite aux enquêteurs d'autres victimes potentielles.
Les deux femmes ont aussi été soutenues par Philippe Brun, ex-membre de l'UMP et candidat "apolitique" battu aux cantonales de mai2011 et auquel Jacques Olivier a servi de directeur de campagne. Il a escorté Virginie Faux chez Isabelle Subra, doyenne des juges d'instruction d'Evry et une amie de sa famille, afin de solliciterses conseils. La magistrate aurait répondu qu'elle ne pouvait "instruire le dossier"maintenant qu'elle connaissait l'histoire. Selon l'article 40 du code de procédure pénale qui dispose qu'un fonctionnaire "ayant connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en aviser sans délai le procureur de la République", Mme Subra aurait dû s'ouvrir de cette entrevue au parquet d'Evry. Mais la procureure Marie-Suzanne Le Quéau a déclaré au Monde le 24 janvier n'en avoir "jamais eu connaissance".
Autre "chevalier servant" des plaignantes, François-Xavier Roux, ancien directeur de cabinet de Georges Tron et congédié de la mairie de Draveil en mars 2009, comme EvaLoubrieu. Il a, lui, avancé l'argent des billets de train, le 14 mai 2011 pour que les deux femmes aillent consulter à Marseille Me Gilbert Collard, leur futur avocat. "Eva qui m'avait confié les agressions depuis longtemps n'a pas un radis, et Virginie ne voulait pas que son mari soit au courant; elles m'ont remboursé en liquide", a expliqué au Monde M. Roux, désormais DRH à la mairie de Vigneux-sur-Seine, fief du maire UMP Serge Poinsot et ennemi juré de M. Tron.
M. Roux connaît de longue date les frères Olivier. Conseiller municipal UMP de Courcouronnes, il a fait, en 1995, liste commune avec Jacques Olivier, alors au FN. Virginie Faux et Eva Loubrieu ont expliqué au Monde avoir saisi Me Collard car il est"médiatique". L'avocat préside depuis l'automne le comité de soutien à la présidentielle de Marine Le Pen.
Le frère jumeau de Jacques Olivier, Philippe, a, lui aussi, été entendu. Officiellement rangé de la politique, il se revendique "Mariniste" et rédige aujourd'hui"des notes informelles" pour sa belle-sœur. Il a nié avoir conseillé les plaignantes dans le choix de leur défense mais a interprété l'arrivée de Me Collard dans le dossier "comme une bonne chose". "Je me suis dit que l'affaire n'allait pas êtreétouffée", a-t-il concédé.
CONFLIT OUVERT
Mmes Faux et Loubrieu escomptaient-elles un bénéfice personnel des suites de leur plainte? Un enregistrement clandestin réalisé en juin 2011 par Thomas N'Lend, ancien voisin de Mme Loubrieu, qui cherchait à la piéger, laisse penser que celle-ci attendait un retour de l'extrême droite locale. Licenciée de la mairie de Draveil en 2009 pour détournement de fonds, elle était en situation précaire. "J'ai toute la machine FN derrière, déclare-t-elle sur la bande citée par Les Inrockuptibles et Mediapart. (…) Ils m'appellent tous les jours (…) Si jamais je suis emmerdée, je les appelle." Elle s'imagine "directrice des affaires culturelles" de Draveil, et évoque les"dommages et intérêts" qu'elle et Virginie Faux réclameront à Georges Tron: "(…) 300000 euros chacune. (…) En un an, c'est réglé".
Le conflit ouvert entre Georges Tron et les frères Olivier remonte à 2009. Exclus du FN en 1999 par Jean-Marie Le Pen pour lui avoir préféré Bruno Mégret et son Mouvement national républicain (MNR), ils militent, au travers de deux associations, Champrosay-Villages et Draveil-Villages contre un projet immobilier de 400 logements sociaux soutenu par le maire. Ils dénoncent l'absence de mise en concurrence de la transformation du site de l'hôpital Joffre, dans leur quartier de Champrosay, en lisière de la forêt de Sénart.
Aujourd'hui, le projet Joffre est en stand-by et les camps Tron et Olivier s'étrillent à coups de tracts et d'assignations en justice. Philippe Brun, qui a présidé les deux associations anti-Tron, est poussé par les frères Olivier, qui jurent qu'ils ne figureront plus eux-mêmes sur une liste électorale. L'objectif est clair: ravir la mairie à Georges Tron en 2014. "Si notre groupe y parvient, prévient Jacques Olivier, il préemptera le site Joffre et contrôlera ainsi le projet immobilier." Face aux développements de l'enquête, qui révèlent leur engagement aux côtés des plaignantes, les frères Olivier ont réfuté samedi 28 janvier dans un communiqué, "la thèse “tronesque” d'une manipulation du 'clan Le Pen'". Ils dénoncent la "campagne médiatique que Georges Tron organise depuis quelques jours à l'occasion de son investiture UMP à la législative, pour tenter de faire croire qu'il serait d'ores et déjà blanchi". Le dossier judiciaire est loin d'être bouclé: l'enquête doit toujoursdéterminer si les séances de réflexologie plantaire pratiquées par le maire relèvent de l'agression sexuelle.
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